"Partout ou passe le sport, pousse le gazon le plus dru de la nation"
Camp Nou (Barcelone), San Siro (Milan), Mestalla (Valence), Parc des Princes... Dans les plus illustres stades d'Europe pousse un peu d'herbe des Landes, où sous-sol et climat se combinent pour distiller un gazon prisé, une "piste aux étoiles" qui se fait peu à peu un nom.
Dans le brouillard automnal près de Saugnacq-et-Muret, au coeur de la forêt de pins à 65 km de Bordeaux, une gazonnière de 120 hectares, tapis vert à perte de vue, est méthodiquement "récoltée" en plaques. Une machine découpe de longues escalopes (1,40 m sur 14) d'un gazon mûri depuis un an, les enveloppant aussitôt en rouleaux d'une tonne.
Tôt le matin dans les Landes (découper à la fraîche aide à la tenue pour le voyage), la nuit sur l'autoroute (30 camions), et dès le lendemain à Villeneuve d'Ascq, aux portes de Lille, où le stade Pierre-Mauroy se refaisait un lifting fin novembre. Quatre jours plus tard, le PSG y défiait le LOSC en Ligue 1.
"Un début d'enracinement (1 cm) n'intervient qu'après 15 jours, 3 cm au bout d'un mois", et les racines peuvent atteindre à terme 30 à 40 cm, explique Jean-Michel Durand, responsable production de la société Covergarden. Aussi, les plaques découpées pour ces regazonnages "d'urgence", en hiver souvent, sont délibérément épaisses (3,5 cm de terre + 2,5 cm d'herbe) donc lourdes, afin de tenir et permettre un usage immédiat par les stars du ballon.
Sous le tapis vert, le sable
Une vingtaine d'enceintes en Europe - dont en France le Vélodrome (Marseille), Mayol (Toulon), le Stadium (Toulouse), ou la Mosson (Montpellier) ravagée par des inondations - ont eu cette année une pelouse estampillée Saugnacq, ou Le Barp, l'autre gazonnière de la société, à 22 km de là.
L'herbe y serait-elle donc plus verte qu'ailleurs? "C'est le substrat (le support, le terreau) qui est la clef: le sol noir des Landes, à 95% sableux, qui permet à l'eau de filtrer rapidement. Et le climat, qui mêle pluviométrie généreuse et ensoleillement, pour la lumière indispensable au gazon", explique le jeune PDG de Covergarden, Arnaud Dugast.
Mais un gazon bien "levé" n'est pas forcément garantie de bonne pelouse en stade. "L'enracinement est crucial. Le problème est que dans les stades, on n'a pas forcément la luminosité requise, ou l'air voulu pour assécher le gazon, souligne M. Durand. J'admire les jardiniers de stade, c'est un autre métier. Ce que le gazon devient, c'est eux qui en décident. Un peu comme un bonsaï..."
Paradoxe des stades modernes: parfois bijoux d'architecture ou de polyvalence, ils sont rarement conçus avec le bien-être de la pelouse en tête, pourtant pas l'élément le plus onéreux (entre 60.000 et 100.000 euros, hors pose).
"On oublie que ce sont des graines, et qu'elles doivent pousser, glisse M. Dugast. Historiquement, l'herbe c'était fait pour brouter, pas pour supporter rugby, foot, concerts, piétinement, etc. On n'a pas encore trouvé l'herbe magique qui résiste à tout".
La 'culture gazon' des Anglais
La collection de maillots dédicacés (Messi, Stade Toulousain) dans les bureaux de Covergarden évoque une clientèle satisfaite. Mais cette vitrine ne représente que 20% de son activité (5 millions d'euros de CA global), qui couvre aussi le paysage, le gazon synthétique, et mise à l'avenir sur les services au jardin de Monsieur tout le monde.
Et la "notoriété football" est à double tranchant. "Quand les gens entendent qu'on fournit le Barça ou Milan, ils se disent +Hou, c'est pas des tarifs pour moi...+ Ils pensent que c'est un produit élitiste. C'est surtout un produit peu connu", analyse Arnaud Dugast, qui a repris en 2009 la société trentenaire, pressentant un marché français "encore dans sa préhistoire".
En Grande-Bretagne, il se vend 10.000 hectares de pelouse par an. En France, entre 600 et 700 hectares, assure le dirigeant, qui admire la "culture gazon" des Britanniques, le soin et le budget qu'y consacrent les particuliers, le savoir-faire des pros.
Savoir-faire qui s'exporte. Les plus grands clubs recrutent des jardiniers anglais, tel Paul Burgess au Real Madrid, ou Jonathan Calderwood, "greenkeeper" primé en Angleterre, au PSG.
Et demandez aux joueurs de L1 leurs pelouses préférées: "Celle du PSG m'a beaucoup impressionné: pas de faux rebonds, les crampons qui tiennent, moulés, ou vissés.. Un billard!", apprécie Gregory Sertic, le vice-capitaine de Bordeaux.
PS: Cet article m'a été adressé par Michel Durand. Qu'il prévienne son fiston ;au Qatar, que je connais bien, la reprise pourra être difficile...